AME : beaucoup de non-recours, encore plus de fausses idées
Un article de Kim Hullot-Guiot sur Libération du 28 novembre 2019
Les étrangers en situation irrégulière viennent-ils en France pour bénéficier du système de santé? Est-il facile et rapide d’accéder à l’aide médicale d’Etat (AME)? La peur d’être dénoncé comme sans-papiers empêche-t-elle d’accéder à ce droit ?
Les premiers résultats d’une enquête sur l’accès à cette aide, menée par un collectif d’universitaires à Paris et Bordeaux, montrent une réalité plus nuancée que ce qu’en donnent à voir certains responsables politiques et associatifs. Publié ce jeudi par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), ce travail estime que 51% des étrangers en situation irrégulière présents depuis au moins trois mois sur le territoire (condition sine qua non pour en bénéficier) sont couverts par l’AME.
Alors que le montant des dépenses liées à cette aide approche du milliard d’euros par an – soit 0,5 % des dépenses publiques de santé –, «la hausse des dépenses suit l’augmentation du nombre de bénéficiaires, les dépenses par tête restant stables», et inférieures à celles des Français et des étrangers en situation régulière (2546 euros par tête pour les bénéficiaires de l’AME en 2017 contre 2977 euros pour les autres). Le non-recours à l’AME s’explique par plusieurs facteurs, comme la barrière de la langue ou l’isolement social. Ceux qui maîtrisent très bien le français sont 58 % à être couverts par l’AME, contre 17 % de ceux qui ne le parlent pas, ou à peine. Les autres facteurs sont le logement ou la précarité alimentaire. Il est notable que les femmes, si elles sont moins nombreuses, sont plus souvent couvertes que les hommes. «Les femmes ont tendance à davantage faire les démarches de santé», relève Florence Jusot, professeure en sciences économiques.
Un autre enseignement de cette étude : le taux de nonrecours à l’AME peut rester élevé même lorsque les personnes sont sur le territoire depuis très longtemps. L’idée que certains viendraient en France profiter de tout ce qu’offre son système de santé est fausse – d’autant que la couverture AME est «un peu moins bonne que la CMU-C», écrivent les auteurs. Autrement dit, elle est minimale. Seulement 10 % des personnes interrogées par les universitaires disent s’être rendues dans l’Hexagone pour des raisons liées, de près ou de loin, à la santé.
Signe qu’obtenir le bénéfice de l’AME ne se fait pas en un claquement de doigts, le taux de couverture le plus important concerne les personnes présentes depuis un à trois ans sur le territoire. «On n’a pas des gens qui arrivent sur le territoire et qui se jettent sur le système de santé. Ils mettent du temps à accéder à leurs droits», analyse Florence Jusot.