Journal LE MONDE, mercredi 22 Avril 2020
Pour des raisons de justice et de reconnaissance, les sans-papiers méritent de bénéficier d’un droit au séjour, estiment un collectif de personnalités, parmi lesquelles Pascal Brice et Louis Gallois.
Dans cette terrible crise sanitaire qu’affronte notre pays, parmi nous, dans nos rues, dans les entreprises et les commerces essentiels à notre alimentation, jusqu’au seuil des appartements où nous sommes confinés, aux côtés de citoyens français et étrangers en situation régulière, un certain nombre de travailleurs étrangers sans papiers continuent à œuvrer et tiennent notre vie sociale et notre économie à bout de bras : c’est une réalité que la crise nous fait enfin regarder en face.
Ils participent à la collecte et au tri des déchets, à la sécurité, la manutention, la mise en rayon dans les supermarchés, le nettoyage, l’aide à la personne, les livraisons, l’agriculture… D’autres continuent en tant qu’intérimaires à préparer les commandes pour les grands groupes de logistique, à livrer des repas à domicile via les plates-formes numériques, faire la cuisine et la plonge pour ces mêmes livraisons. Dans nos villes, comme dans la plupart des autres métropoles européennes, ils font partie, aux côtés des nationaux, de ceux qui prennent le risque d’être confrontés à la maladie. Ils sont en première ligne comme tant d’autres travailleurs invisibles.
Nous recentrer sur l’humain
Ils font partie de ce salariat précaire et dévalorisé qui permet la continuité des activités indispensables à notre vie à tous. Comme l’a dit le président de la République le 13 avril, ils sont de celles et ceux que « nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal». Mais ils voient leur santé d’autant plus mise en danger qu’ils sont dépourvus d’autorisation de travail. Vulnérables, ils n’ont bien souvent pas accès aux tenues et matériel nécessaires pour se protéger et préserver leur santé. Quand ils dépassent un certain seuil de ressources et déclarent leurs revenus, ils ne peuvent bénéficier de l’aide médicale d’Etat (AME). En outre, bien qu’ils cotisent, ils ne peuvent pas non plus bénéficier du système de sécurité sociale. Comment accepter, d’abord pour elles et eux, mais aussi pour le succès collectif du combat contre la pandémie, qu’ils ne puissent accéder aux soins alors qu’ils sont exposés au virus ? Cette crise nous révèle que nous nous sauverons tous ensemble ou pas du tout.
Nous sommes dans l’une de ces périodes de l’histoire qui nous mettent face à la fragilité de la vie et nous incitent à nous recentrer sur l’humain. Ce moment met en lumière le rôle de l’Etat, des services publics, les mobilisations sociales et les activités essentielles à nos vies. Il conduit à penser de concert la justice et l’efficacité économique. A l’issue de cette crise, pourrions-nous accepter que ces travailleurs sans papiers restent dans la clandestinité après avoir soutenu, avec et comme d’autres salariés, notre pays ? Qui peut imaginer les laisser après la crise poursuivre à nos côtés, invisibles, leur vie dans la précarité et l’illégalité, sous la menace de l’expulsion là où ils devront avoir notre reconnaissance et où l’économie aura encore besoin d’eux?
Poursuivre l’effort de prise en charge
Pour des raisons de simple justice, de reconnaissance, de santé publique et d’efficacité économique, ces travailleurs sans papiers disposant d’un emploi devraient pouvoir bénéficier d’un droit au séjour à travers l’examen de la situation de chacune et de chacun, uniquement sur la base de la relation de travail. Cela se ferait via une pleine application de la réglementation dès lors que les critères en auront été étendus, selon des procédures allégées garantissant leur efficacité dans ces moments de désorganisation des services publics d’accueil des étrangers et en veillant à ne pas dissuader les employeurs par le paiement de la taxe OFII (versée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration en cas d’embauche d’un salarié étranger). Des instructions devraient être sans délai données aux préfets pour un examen rapide et individualisé de la situation de ces salariés.
Cette démarche nationale devrait être également portée au niveau de l’Union européenne ou à tout le moins du plus grand nombre de pays européens.
Plus que jamais, dans cette période, nul ne doit être livré à lui-même, à la rue. Cela vaut pour toutes celles et tous ceux qui sont présents sur notre sol. L’effort de prise en charge et d’hébergement engagé par les pouvoirs publics, les élus locaux et le monde associatif, doit se poursuivre. L’accès aux démarches nécessaires doit être garanti. Cela doit valoir notamment pour le droit constitutionnel de demander l’asile sur notre territoire qui doit être rétabli au travers d’un service éventuellement allégé.
Notre nation mobilisée contre l’adversité doit, une nouvelle fois, faire la démonstration de son attachement aux valeurs essentielles de la République et de sa gratitude à l’égard de celles et ceux qui auront, à nos côtés, affronté l’épreuve.
Pascal Brice, ancien directeur de l’Ofpra; Jean-François Carenco, préfet honoraire; Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS); Marilyne Poulain, syndicaliste; Frédéric Sève, syndicaliste