• Le Télégramme publie, le 11 décembre 2020, deux articles, à l’initiative de Jean Miossec, secrétaire de Digemer et de Tristan Foveau, vice-président de Brest-Métropole, pour réclamer un droit au travail des étrangers, distinct d’un droit au séjour qui tarde toujours à venir quand il n’est pas refusé. En soutien de cette revendication, cet article publie le témoignage de Elidon et Sonila (prénoms changés dans l’article), hébergés par le Cent pour un toit de Brest Kerinou, affilié à Digemer.
Après huit ans de procédures, Azim et Aurela, qui ont désormais deux enfants nés à Brest, ne savent toujours pas s’ils pourront rester en France. Le Télégramme/Jean Luc Padellec

Aurela (*) est de confession musulmane, Azim (*) est chrétien. Ce couple d’albanais a dû fuir son pays en 2012, car menacé de mort par le cercle familial qui n’acceptait pas cette union. Huit ans après leur arrivée à Brest, ils sont toujours dans l’impasse : sans titre de séjour ni autorisation de travailler.

Le Télégramme – Brest Abers Iroise, 11 Dec 2020 -Jean-Luc Padellec

Huit ans qu’ils ont quitté leur pays pour fuir la vendetta d’une famille qui n’acceptait pas leur union, au nom des antagonismes religieux. « Mon père est imam. Quand il a appris que je fréquentais un catholique, il a voulu me marier de force à un musulman. Puis voyant que je résistais, il a menacé de tuer mon compagnon. On a demandé la protection des policiers, ils ont refusé », raconte Aurela. Pour vivre leur amour et avoir la vie sauve, ils n’ont d’autre choix que de couper les ponts définitivement. Le 25 mai 2012, les deux amoureux ont déjà rejoint une autre commune loin du cercle familial quand ils se marient en catimini avec deux témoins. Deux jours plus tard, c’est le grand départ pour Paris. Puis le train pour Brest, « le plus loin possible, dans une ville où il n’y avait pas d’Albanais ». Sans connaissance, ne parlant pas français, ils se retrouvent à la rue, puis à migrer d’un squat à l’autre.

Un titre de séjour de courte durée
2014. Azim et Aurela ont appris la langue, et n’ont jamais fait parler d’eux, quand le couperet tombe : les vendettas familiales n’entrant pas dans les cases de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) ni de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), leur demande d’asile est rejetée. En dépression, Aurela finira pourtant par obtenir, un an plus tard, un titre de séjour pour motif médical, après une brève hospitalisation à Bohars. Valable deux ans, ce récépissé lui permet enfin de décrocher un emploi dans les serres à tomates. Azim, lui, est toujours sans titre de séjour, sans droit au travail. Malgré plusieurs promesses d’embauche, il n’a jamais pu exercer son métier de cuisinier.

2018. Le titre de séjour d’Aurela a expiré. Elle ne peut plus travailler. Alors que deux enfants sont nés de cet amour en exil, que le couple a prouvé qu’il pouvait payer son logement et subvenir à ses besoins, il est désormais sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Dès lors, ses moyens de subsistance reposent exclusivement sur l’aide alimentaire et la solidarité des associations d’aide aux migrants comme « Cent pour un toit» qui paie leur loyer.

Une situation kafkaïenne
2020. Leur situation a très peu évolué. En juin, leur demande de carte de séjour « vie privée et familiale » a été refusée par la préfecture. Mais comment pouvait-il en être autrement ? La délivrance de ce titre suppose d’avoir suffisamment d’attaches dans le pays d’accueil, et de montrer sa capacité d’intégration. Mais sans travail, on n’est pas considéré comme suffisamment intégré. Bienvenue chez Kafka.

Pourtant, leurs deux enfants de 5 ans et demi et 2 ans et demi sont scolarisés dans cette France qui les a vues naître. « Si on revient en Albanie, je sais que c’est la mort pour moi », jure Aurela, alors que le couple s’est vu notifier une nouvelle OQTF en septembre dernier.

Comme la précédente, cette injonction administrative ne sera sans doute pas suivie d’effet. Et la famille continuera cette vie d’assistés quand elle aspire à travailler, payer des impôts, et offrir un avenir meilleur à ses enfants.