La Croix, 10 avril 2021
Nathalie Birchem

Dans un rapport, que La Croix publie en avant-première, le Service jésuite des réfugiés estime que la France est à la traîne sur l’intégration des demandeurs d’asile au marché du travail.

Il a fallu quatre ans pour que Aosama, Libyen de 36 ans arrivé en France en 2015, obtienne son statut de réfugié. « Entre 2015 et 2017, j’ai passé mon temps à courir partout pour essayer de faire mes papiers, de me nourrir, de me loger et d’apprendre la langue mais c’était très difficile parce qu’il n’y a rien de prévu quand on n’a pas les papiers », raconte cet ancien ingénieur météorologue.

Fin 2017 cependant, il rencontre le Jesuit Refugee Service (JRS) qui lui propose l’hébergement dans des familles d’accueil françaises et des cours de langue dans son école, accélérant son intégration. Sitôt sa demande d’asile aboutie, fin 2019, Aosama a pu commencer une formation de boulanger, métier qu’il rêve à présent d’exercer quelque part dans un village du Massif central ou de l’Ardèche. À moins qu’il ne puisse un jour redevenir météorologue en France.

Le parcours des exilés pour trouver un travail est souvent laborieux en France. Annoncée en 2018, la stratégie du gouvernement pour l’intégration a pourtant impulsé de nombreuses initiatives en faveur de ceux qui ont obtenu le statut de réfugié. Mais à de rares exceptions près, elles concernent très peu les demandeurs d’asile. « Cela repousse de plusieurs mois ou de plusieurs années l’intégration au marché du travail », estime Irinda Riquelme, responsable du plaidoyer à Jesuit Refugee Service (JRS).

Dans un rapport rendu public le 14 avril, que La Croix publie en avant-première, l’association catholique, forte de son expérience en matière d’hébergement et d’accompagnement, dresse le portrait d’une France à la traîne. « Au sein de l’Union européenne, la France partage la dernière place avec la Hongrie pour l’accès effectif au marché du travail des demandeurs d’asile », affirme JRS.

La loi de 2018 réduit certes de neuf à six mois le délai à partir duquel un demandeur d’asile peut travailler, mais, pour que ce soit possible, elle oblige l’employeur à demander une autorisation. Dans les faits, très peu le font.

JRS constate également que la France « fait partie des cinq États (sur 23) qui refusent (aux demandeurs d’asile) l’accès aux formations professionnelles ». Or, constate Irinda Riquelme, « beaucoup de réfugiés ont déjà acquis des compétences professionnelles parfois informelles, qui pourraient leur servir pour travailler en France. Nous demandons donc à ce que ces compétences puissent être rapidement évaluées, y compris par des employeurs pendant des stages. »

« On pourrait imaginer des formations modulaires, qui prendraient la personne là où elle en est, complète Guillaume Rossignol, directeur adjoint de JRS. Parfois, il n’y a pas besoin d’un CAP de deux ans, quelques mois suffisent à consolider des compétences. » Et de citer le cas de Mehdi, un réfugié iranien qui a appris à souder dans son pays et qui s’apprête à recevoir un complément de formation pour être rapidement opérationnel.

Enfin, JRS indique que la France, qui a doublé ses heures de français pour les réfugiés, ne fait pas partie des « 16 États de l’Union eurpéenne sur 23 qui mettent en place des dispositifs étatiques avec des cours de langue pour les demandeurs d’asile ». Or, « si on veut que l’intégration soit rapide, il faut mettre le paquet sur le français dès que possible », complète Guillaume Rossignol.