1er décembre 2018
Fin juillet 2017, nous avons accueilli V & P chez nous, à la demande d’une amie qui les avait hébergés quelques jours. Nous mettons à leur disposition une chambre avec salle de bains attenante. Très vite, nous avons sollicité l’association Digemer pour ne pas supporter seuls cet accueil et à plein temps. Une alternance s’est rapidement instaurée avec une autre famille.
V & P vivent sous notre toit et partagent notre quotidien. Cela signifie qu’il nous a fallu nous réorganiser et aménager notre mode de vie: prévoir des repas pour 4, dont 2 jeunes adultes de 26 ans qui ont un appétit différent du nôtre, prendre du temps pour être à leur écoute et comprendre leur situation, rechercher des solutions à tel ou tel problème auquel ils sont confrontés. Même s’ils bénéficiaient de cours de français à Brest, je leur en ai donné aussi pour qu’au-delà de l’apprentissage par immersion, ils comprennent certaines règles et leur donnent davantage de sens.
L’automne dernier a nécessité une grande disponibilité pour les écouter et les conseiller dans la préparation de leur dossier d’appel, suite au rejet de leur demande par l’OFPRA. L’écoute et la disponibilité représentent déjà une réponse à leurs angoisses.
En novembre 2017, leur demande d’asile a été rejetée par la CNDA. De ce fait, ils ne perçoivent plus l’allocation de demande d’asile. Désormais, les aides qui leur sont octroyées sont la CMU et l’accès gratuit aux transports collectifs.
En décembre dernier, mon mari les a accompagnés à un rendez-vous à la Préfecture, pour déposer une demande de titre de séjour avec autorisation de travailler puisqu’ils ont tous deux une promesse d’embauche en CDI.
L’absence de revenus nous a amenés, après en avoir vérifié la faisabilité, à mobiliser notre réseau pour leur trouver quelques heures de travaux à faire ici ou là, payés en tickets CESU. V & P ont ainsi fait des travaux de jardinage, de ponçage-lessivage-peinture, de ménage chez plusieurs personnes. Les retours que nous en avons sont toujours très positifs. Outre les modestes rentrées d’argent que représentent ces petits chantiers, ils ont le mérite de remplir leur agenda et leur esprit, leur évitant de ressasser leurs soucis pendant toute la journée. Cela leur permet aussi de rencontrer d’autres personnes et donc de s’ouvrir davantage et d’acquérir des compétences et savoir-faire… Ce sont là autant de supports favorisant leur intégration.
Nous effectuons les démarches pour lancer un “100 pour 1 toit”, pour V & P car il est plus que temps qu’ils aient davantage d’autonomie. V&P n’ont plus besoin de notre disponibilité et de notre accompagnement au quotidien. Ils ont besoin de vivre leur vie de couple, d’intimité et d’autonomie. Le fait de refaire leurs valises tous les 15 jours et de passer d’une famille à l’autre leur pèse de plus en plus.
Nous n’avions pas du tout prévu d’accueillir des migrants chez nous. La sollicitation d’une amie, que nous avions considérée comme un dépannage de courte durée s’est transformée en un séjour long.
Cette expérience nous a apporté beaucoup de satisfactions car c’est un couple ouvert, intelligent et plein d’humour. Les échanges sont faciles et agréables. Ils sont volontaires et ont vraiment beaucoup progressé. Ils vont mieux; en effet, même si la détresse et l’inquiétude demeurent, ils sont bien plus solides et stables psychologiquement. Ils sont passes tous deux par des moments de grande fragilité psychique et somatique.
Il est temps maintenant pour eux de voler de leurs propres ailes. Bien sûr, quand ils quitteront notre domicile pour s’installer dans un logement autonome, nous garderons des liens et notre porte leur restera ouverte.
Une question de l’hébergement-citoyen est de savoir jusqu’où on peut ainsi accompagner des personnes : jusqu’où dans la durée, jusqu’où dans leur histoire et leur dossier, jusqu’où face à leurs demandes et leur besoin d’aide, jusqu’où pour respecter leur statut d’adulte et leur intimité ?
On ne peut pas répondre à tout, on ne peut prétendre ni les sauver, ni les réparer.
Il est essentiel de ne pas rester seuls dans cette relation. La réflexion partagée avec les bénévoles de Digemer est nécessaire, pour échanger sur les pratiques, pour definir un cadre et des limites et des points de vigilance, pour avoir des informations et suivre les évolutions législatives mais aussi pour préserver une certaine distance.