Manik (1), jeune Arménienne de 25 ans, et sa famille sont hébergées par un collectif 100 pour 1 toit brestois. Elle raconte son histoire mouvementée, de l’Arménie jusqu’à Brest après un séjour en Ukraine…
En Arménie
Ma famille a dû quitter l’Arménie en 2002, car elle était en danger. Mon père Aram et mon oncle Narek possédaient un atelier de charpentier, or un dénommé M… G… a commencé à exercer des pressions sur eux afin qu’ils lui vendent leur entreprise. Mon père et mon oncle ne le souhaitant pas, ils ont subi des menaces de mort pour leur famille, puis des violences physiques. A chaque refus de vendre, les violences s’intensifiaient et le prix de la transaction était à chaque fois revue à la baisse.
Notre famille a fait appel à la police qui a refusé de s’occuper de l’affaire. La police qui connaissait très bien la situation et avait des accointances avec M… G… n’a rien fait pour nous protéger.
Contraint et forcé, mon père et mon oncle ont fini par vendre leur entreprise. Quelques temps plus tard, l’entreprise a brulé dans un incendie et M… G… a supposé qu’il s’agissait d’une vengeance de mon père et de mon oncle. Il a sommé mon oncle et mon père de lui verser une somme d’argent importante que nous ne possédions pas pour rembourser l’entreprise incendiée.
Mon oncle Narek a été assassiné par ces personnes d’un coup de couteau. Nous avons décidé de fuir l’Arménie pour plus de sécurité.
En Ukraine
Mon père, ma mère, mon frère et moi-même, nous nous sommes réfugiés en Ukraine en 2002. Nous nous y sommes bien intégrés. Mon père a trouvé du travail et mon frère et moi, avons pu être scolarisés. Malheureusement, en 2014, la guerre a éclaté. De jours en jours, il y avait de plus en plus de manifestations et de fusillades et les hommes étaient enrôlés de force dans l’armée pour aller se battre au front. Devant cette situation, nous avons décidé de quitter l’Ukraine. Mais par peur des représailles, nous ne sommes pas retournés en Arménie. Un homme qui faisait de l’import/export nous a conduits en France contre un versement de 10 000 $.
En France
Nous sommes installés à Brest depuis 2015. Je suis tout d’abord inscrite au lycée Vauban à Brest. J’y ai suivi des cours de mathématiques, d’anglais et de français pendant trois ans. J’ai passé les examens A1, A2 puis B1 que j’ai obtenu et je m’y suis fait des amis.
Parallèlement, j’ai décidé de perfectionner mon français et je me suis donc inscrite au cours de l’ABAAFE (association brestoise pour l’alphabétisation et l’apprentissage du français pour les étrangers). Les cours se déroulaient tous les après-midis. Là, j’ai rencontré d’autres Français ainsi que des étrangers.
Puis en 2016, j’ai suivi un stage de trois mois à l’école maternelle de Penn ar Créac’h à Brest. Je souhaite dans l’avenir m’occuper d’enfants ; aussi à travers des stages je veux préparer mon projet professionnel. Je suivais les enfants au quotidien (graphisme, chants, jeux) et conjointement avec la maîtresse j’ai organisé un spectacle avec les enfants (chorégraphie, fabrication de costumes). Ce fut une expérience très enrichissante.
En 2017, pendant un mois, j’ai suivi des cours au lycée de l’Iroise en terminale pour rencontrer des jeunes de mon âge et mieux comprendre le système éducatif français et je me suis inscrite à l’université du temps libre où j’ai suivi de cours d’administration, économique et sociale. Cette inscription me donnait aussi accès à la bibliothèque dont j’ai pu profiter.
Depuis septembre 2018, je suis des cours de perfectionnement de français à la Maison pour Tous de l’Harteloire. Il s’agit essentiellement de cours de conversation pour apprendre à se débrouiller au quotidien. A la maison je regarde des films en français et lit aussi en français pour progresser.
Le 13 mars 2019, mon père est décédé d’une crise cardiaque. Il est inhumé au cimetière de Kerfautras à Brest sur le territoire français où j’espère vivre près de lui.
Depuis je suis animatrice bénévole à la Maison pour Tous de l’Harteloire et je m’occupe des enfants après l’école de 16 h 30 à 18 h 30 trois fois par semaine. J’organise pour des enfants âgés de 6 à 8 ans des activités comme la lecture, des jeux, le goûter.
Nous avons quitté l’Arménie en 2002 et nous ne connaissons plus personne en Arménie qui peut nous aider. Ma famille et moi même souhaitons devenir Français et je fais tout ce que je peux pour me faire des amis et reconstruire ma vie dans ce pays qui m’a accueilli et où je souhaite m’installer définitivement.
(1) Par souci de discrétion, les noms de personnes ont été modifiés ou remplacés par des lettres fictives, y compris le nom de l'auteure de ce témoignage